Et si la géostatistique facilitait le travail de l’ingénieur géotechnicien ?
Afin de vérifier la pertinence de l’approche géostatistique dans le domaine de la géotechnique, Eiffage Génie Civil Marine, spécialiste de la construction de grands projets portuaires et maritimes, a demandé à Geovariances de produire un modèle de sous-sol dans le cadre d’un projet déjà réalisé, pour le comparer au modèle généré avec leurs outils habituels. Le test s’est révélé plus que convaincant. La géostatistique a permis d’obtenir un modèle complètement cohérent avec le modèle géotechnique initialement conçu, mais beaucoup plus rapidement et totalement justifiable car uniquement basé sur une approche scientifique et l’ensemble des données disponibles.
La géostatistique est à ce jour très peu appliquée dans le secteur de la géotechnique. Pourtant, elle a toutes les raisons de ne pas être négligée par la profession car elle permet de modéliser le sous-sol en interpolant les données disponibles de façon objective et rapide, tout en s’appuyant sur des mathématiques éprouvées depuis plus de 50 ans. Elle pourrait constituer un outil de choix pour le géotechnicien qui doit interpréter des quantités importantes de données de natures très variées, et surtout l’aider à justifier et sécuriser son design.
La géostatistique est utilisée dans le secteur minier depuis les années 50 pour la prévision des ressources minérales d’un gisement. Elle est aussi mise en œuvre de façon classique pour la caractérisation de réservoirs pétroliers, d’aquifères ou d’unités de stockage de déchets ou de gaz par exemple.
Et dans le domaine de la modélisation géotechnique, que peut-elle apporter ?
C’est la question que nous a posé la société Eiffage Génie Civil Marine, spécialisée dans la construction de grands projets portuaires et maritimes, en France et à l’international.
Pour avoir des premiers éléments de réponse, Yves Puzenat et Mathieu Steckler, deux ingénieurs géotechniciens de la Direction Technique d’Eiffage Génie Civil Marine, ont proposé à Geovariances de bâtir un modèle de sous-sol avec la géostatistique à partir de données géotechniques d’ un projet déjà réalisé, puis d’en déduire les longueurs de pieux nécessaires à sa fondation. Les résultats ainsi obtenus seront ensuite comparés au dimensionnement déjà effectué durant la réalisation de ce projet.
Pour cela, ils ont transmis à Geovariances les données géologiques et géotechniques mesurées au niveau d’une cinquantaine de sondages, qu’ils avaient eux-mêmes utilisées pour construire leur modèle géotechnique du projet.
La première étape a consisté à modéliser en 3D la géologie du sous-sol (fig. 1) en mettant en œuvre les simulations plurigaussiennes, une technique géostatistique qui permet un contrôle précis des relations et des limites entre faciès au moyen d’une règle d’assemblage (fig. 2) et d’une matrice de proportions des lithotypes (fig. 3), calculées à partir des données de sondage.
“On a vu qu’avec l’approche géostatistique, on avait une image assez similaire à celle qu’on avait obtenu avec une approche classique. C’était une première avancée très intéressante”.
Yves Puzenat.
Fig. 1 : Géologie interpolée par la technique géostatistique de simulations plurigaussiennes
Fig. 2 : Example de règle d’assemblage des lithotypes pour les simulations plurigaussiennes
Fig. 3 : Exemple de matrice de proportions des lithotypes en fonction de la profondeur
La deuxième étape s’est focalisée sur l’interpolation par krigeage des mesures de résistance à la compression simple à l’intérieur du substratum rocheux où seront ancrés les pieux. Pour prendre en compte le comportement spatial particulier de ce paramètre dépendant du type de roche, l’interpolation a été effectuée de façon indépendante pour chaque faciès géologique, basalte, tuff et lutite. (fig. 4).
Fig. 4 : Interpolation par krigeage des mesures de résistance à la compression simple dans le substratum rocheux
Enfin, la dernière étape a consisté à calculer la longueur de chaque pieu à partir des résultats de l’étape 1 (position du toit du substratum) et de l’étape 2 (distribution des résistances à la compression simple dans le substratum) en utilisant la même méthode de calcul des pieux que celle du projet. Les longueurs des pieux ainsi obtenues ont ainsi pu être comparées à celles initialement calculées (fig. 5).
Fig. 5 : Comparaison, sur une coupe, de la fiche des pieux par l’approche géostatistique, avec calage au droit de chaque sondage (courbe en rose) avec celle calculée par Eiffage Génie Civil Marine
Les longueurs de pieu estimées à partir de l’approche géostatistique sont très comparables à celles initialement calculées.
Dans le cas précis, la longueur cumulée des pieux obtenus par l’étude géostatistique est ainsi inférieure de quelques 3% par rapport au calcul initial.
L’étude géostatistique a permis une optimisation de la longueur des pieux. Elle peut conduire à une économie parfois non négligeable et dans tous les cas, toujours bienvenue, sur le poste « Fondations » comme le montre l’exemple étudié.
“Les résultats ont été obtenus beaucoup plus rapidement, qu’avec la méthode classique. Cela nous a impressionné. Dans cet exemple-là, nous aurions pu réduire la longueur moyenne des pieux de 0,5 à 1 m.”
Mathieu Steckler.
Ce premier test a montré que la géostatistique a toute sa place dans le domaine de la géotechnique.
Elle permet d’obtenir rapidement un modèle du sous-sol, complètement cohérent avec le modèle géotechnique initialement conçu. Aujourd’hui, la conception du modèle géotechnique reste empirique et dépend fortement de l’ingénieur qui le réalise, de son expérience et de ses habitudes. Avec la géostatistique, le modèle s’appuie sur une approche scientifique reconnue et sur l’ensemble des données disponibles. Le géotechnicien a alors les arguments nécessaires à sa justification.
Il n’en reste pas moins que la géostatistique requiert un nombre suffisant de données (sondages, essais) pour être pertinente. Ici, avec plus de 50 sondages et l’ensemble des résultats des essais mécaniques de laboratoire sur échantillons de roche, la base de données qui a servi à l’analyse est considérée satisfaisante. Cela n’est pas toujours le cas dans le monde de la géotechnique.
Maxwell GeoSystems, un bureau d’études américain spécialisé dans le design de tunnels et client de Geovariances, va plus loin. Selon eux, il est important de prendre en compte l’incertitude et la variabilité des conditions du sol pour réduire les aléas sur le chantier. Ils utilisent les simulations géostatistiques, une autre facette de la géostatistique, pour fournir des modèles probabilistes du sous-sol. Au lieu de définir une interface unique comme transition entre deux couches de sol, ils définissent une bande d’incertitude ou intervalle de confiance avec une valeur minimale et une valeur maximale à prendre en compte (fig. 6). Les simulations appliquées aux paramètres géotechniques leur permettent d’en déduire une représentation probabiliste du sous-sol en terme d’impact sur l’usure du tunnelier. Cela aide l’entreprise à prendre des décisions de façon proactive dans le pilotage du tunnelier. Ils peuvent ainsi gagner du temps sur l’exécution d’un projet conduisant à des économies pouvant être importantes.
Fig. 6 : Intervalle de confiance à 95 % d’un paramètre géotechnique dans l’horizon du tunnel dérivé de simulations géostatistiques. Ces informations peuvent être utilisées par les opérateurs de tunneliers pour prendre des décisions plus éclairées sur les stratégies d’atténuation et les paramètres de fonctionnement des tunneliers (courtesy Maxwell Geosystems).
“Je suis convaincu que la géostatistique est un atout considérable et a toute sa place dans le futur de notre métier.”
Mathieu Steckler
Dans l’exemple présenté ici, Geovariances a appliqué ces mêmes simulations géostatistiques sur la profondeur du substratum rocheux pour en sortir des cartes d’analyse de risque (quartiles). Ces cartes, qui définissent différents scénarios de profondeur en fonction du risque que l’on accepte de prendre sur la position estimée du substratum, peuvent à terme être utilisées pour définir différents scénarios de longueur de pieu, et ainsi, pour budgéter ces différents scénarios.
Pour faire face aux aléas présents naturellement dans les sols, il ne serait pas impossible d’imaginer que cette notion de risque puisse un jour être incluse dans les normes, comme cela se fait par exemple quand il s’agit de prendre en compte les risques sismiques dans la conception des structures. Cela a tout son sens de définir une probabilité de rencontrer l’interface entre deux formations à une profondeur donnée en fonction des informations disponibles. Pouvoir quantifier le risque associé faciliterait la prise de décision et constituerait une réelle avancée pour la géotechnique.